Rue Lê Lợi, berges de la Rivière des Parfums

On devrait plutôt parler de fleuve, vu la largeur qui sépare les deux berges.

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L’hôtel Romance est situé un peu à l’arrière, vers un complexe sportif. Je peux voir de la chambre le stade de foot et d’athlétisme avec ma vue sur le sud.

Dehors après mon installation, les conducteurs de xe ôm sont déjà là à me demander si je veux faire un tour. L’un deux semble sympathique, j’arrive même à communiquer avec lui, mais il semble trop entreprenant. Je lui explique ne pas avoir de direction précise, et en anglais « I want to get lost », pour ne pas lui préciser de direction. Dit au premier degré. Mais on dirait qu’il interprète cela de façon argotique, et un second chauffeur de honda arrive. Le premier me fait le geste de la clope, le second sort un sachet, ce ne sont pas des cigarettes.
« không », et je me casse vite fait.

Plus tard, le revoilà ce chauffeur, qui me redemande si je veux toujours pas aller quelque part. Comment on dit « marcher » déjà ? Quel pot de colle. Il faudra que je me méfie.

La berge est là, rue Lê Lợi. Derrière et à côté, des boîtes de nuits, à ma gauche, des écoles, collègues, universités. Le thème de cette rue est l’étude. « Học » à tous les titres de façade. C’est le thème et le coeur de cette partie de la ville. Assez impressionnant. Et plus je vais vers l’ouest, plus ça monte en gamme. On termine avec le prestigieux. Probablement là où a étudié Papy de Saïgon (en fait, il est de Hué).
Ah non, il y a encore d’autres établissements, dont une université et une école de musique en cours de reconstruction. Et aussi le musée Ho Chi Minh, peint en rose – oui, rose ! Le père de la nation a étudié à Hué aussi.

En apparté : le nom « Tôn Thất » est à l’origine une particule, équivalent de duc ou comte. Le nom originel est « Nguyễn Phúc », celui des seigneurs Nguyễn, qui ont gouverné la région de Hué du 16ième au 18ième siècle. Ils se sont fait éjecter du pouvoir suite à une révolte d’origine paysanne, contemporaine de la révolution française (fin du petit âge glaciaire). La révolte a été menée par les 3 frères Tây Son, qui ont unifié le pays et ont été les premiers empereurs éphémères de ce qui allait devenir le Vietnam.
Ici, quand un seigneur est viré, c’est tout son clan qu’on essaye d’éliminer. Un des survivants, neveu du 10ième seigneur Nguyễn s’est allié avec les Thaïs et les Français pour reconquérir le pouvoir par les armes.
Game of Thrones, mais IRL. Ce 11ième seigneur est le premier empereur Gia Long, et a fondé la dynastie des Nguyễn. Il a donc la lignée des seigneurs, puis celle des empereurs. « Tôn Thất » signifie l’appartenance à la lignée des seigneurs, se traduit par « famille révérée » et est porté par les mâles, qui transmettent le nom aux fils. Loi salique, les filles portent le nom de « Tôn Nữ », et leurs enfants ne portent que le nom de leur mari. Il est aussi interdit que deux Tôn se marient ensemble (pratique pour éviter la consanguinité).
Je vous rassure, c’est assez facile d’y descendre, seigneurs comme empereurs –  quels phallocrates – avaient un harem. Le 7ième seigneur est particulièrement prolifique, puisqu’une 50aine de mioches déclarés, et 140-150 en tout. Selon les informations qu’on m’a transmis (pas officiel, mais assez sûr, avec le culte des ancètres), la famille descend de son 12ième fils. Les rangs de naissance sont aussi importants chez les vietnamiens.

Tout ça pour dire que les enfants de seigneurs et princes avaient un accès plus facile à l’instruction. Et ils y ont excellé. Dans le mandarinat et autres hautes études. Et les écoles se trouvaient, et se trouvent encore, ici à Hué. J’ai d’ailleurs vu quelques Ton-That dans les noms des étudiants sur le site web de l’université.
Régents, mandarins, docteurs, écrivains, professeurs, poètes, généraux, ingénieurs, gouverneurs… Plein de cadors, alors que le nom est relativement peu courant (mais connu).

Cela explique l’énorme pression que nos parents, oncles et tantes vietnamiens, placent sur leurs enfants. Etre médiocre n’est pas une option possible. A mon niveau, il fallait au départ que j’aille faire Polytechnique, puis ingénieur INSA. Non. J’ai trébuché plusieurs fois, l’adolescence a été un enfer, les études un calvaire. Le diplôme de pharmacien est là, cela doit suffire.
En France, c’est un peu différent, l’école s’est démocratisé bien avant. Et avoir un diplôme n’est plus synonyme de réussite sociale.

Mais revenons à la rue Lê Lợi.

Je passe le pont qui enjambe le cours d’eau An Cựu, la gare est en face. Train prévu pour dimanche après-midi. Je tente encore plus loin, essayant de retrouver la berge. Jolie surprise avec un parc, toujours le long de la Rivière.

Des amoureux s’y bécotent. Il y a même un préservatif usagé sur le chemin. Encore plus loin, le pont routier et le pont ferroviaire. La lumière naturelle est réduite à son minimum. Le visuel diminue, et l’odorat augmente : la Rivière des Parfums mérite son nom. On dirait de l’encens très dilué, avec un peu d’air marin. La sensation est douce sans être entêtante. Il ne fait ni chaud ni froid.

La nuit tombe vite. Le chemin se termine. Sous le pont routier, quelques pêcheurs, quelques joueurs. Dans la pénombre, une vieille dame chétive lave son linge à même la rivière. Je sors l’appareil photo, mais elle me remarque. Finalement, je pense que cela aurait été indécent de la prendre en photo.

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Marche arrière en nocturne vers l’hôtel, cette fois tout du long de la berge. C’est savamment illuminé. Le pont Trường Tiền au loin s’offre même une coloration changeante. Ah, voilà le restaurant que j’avais repéré sur google maps il y a quelques semaines. C’est en fait la même enseigne où j’ai pris un Chè violet à l’aller.
Ancien Town Restaurant. Plutôt destiné à une clientèle de touristes. Le service est à l’occidentale, les clients sont tous étrangers. Les prix sont aussi très différents de ce que j’ai expérimenté à Hội An. Bon, c’est vrai que je n’ai mangé qu’à des cantines et gargotes, rien de guindé.

La promenade a continué après le dîner, toujours sur les berges. Les natifs ont pris leur quartier sous et à partir du pont Trường Tiền. C’est le joyeux bordel, les dialogues sonores et les encas sur petites chaises plastiques.

Encore plus loin, là où la promenade sur berge se termine, précisément là où les deux xe ôm m’ont abordé, se trouvent les boîtes de nuit. Ah oui, après coup, c’est logique.

J’arrive en bas de l’hôtel. Un conducteur de honda m’aborde encore et me demande où je vais. Je pointe l’hôtel devant nous. Puis il propose « boom-boom ». Quelques secondes d’incompréhension. Il regarde autour de lui, puis rassuré, sort de sa poche un sachet qui n’est absolument pas de la cigarette.
« không ! »
Non mais… gueule de touriste, oui, mais est-ce que j’ai une tête de hippie ? Cela va être un peu une épreuve que de rester calme. Je réprime une pulsion atavique de vouloir lui couper la tête pour m’avoir proposé de l’illicite.

Première école
« Tôi thích Huế ». Rồi !
Encore une école
Pont Trường Tiền. Il vaut mieux pour les piétons de traverser en dessous, pour ne pas avoir à gérer l’intense trafic
Parc
« Chè Khoai Tía » (= ratalu indian purple sweet soup) à l’Ancien Town Restaurant
Ils sont très studieux ici.
Encore une école ?
Bâtiment officiel
Université pour gentes dames bien élevées : Lycée Dông Khánh
De loin, en face, le drapeau flotte sur l’ancienne capitale.
Une aile de l’université pour dames.
En français, ça ne marche pas. (ça ne marche jamais en France, d’ailleurs…)
Université pour gentilhommes : Lycée Quôc Hoc. Est-ce là que Ông Nội a fait ses classes ?
En face de la porte, un monument aux morts. Bia Quốc Học. Rénové.
Sur l’autre côté, restent gravés quelques noms de morts tombés au combat, en France, pendant la guerre 14-18.
Sur les berges, en pleine ville.
Ecole pour petits
Musée HCM. Le rose est plus criard que sur la photo. Je préfère penser que les codes couleurs sont différents ici.
Université !
J’y prendrai le tchou-tchou de nuit pour Hà Nội, dimanche.

Sous le pont routier, pêcheurs et joueurs.
A gauche, ligne ferroviaire vers le nord (donc vers Hà Nội à 900 Km), à droite le pont routier.
Retour par le même chemin, la nuit tombe, les lumières s’allument. Le lieu a une senteur agréable.
Nocturne sur le cours d’eau An Cựu. En bas, un petite barque avec une habitante, au fond un pont piéton.
L’académie de musique va voir son bâtiment détruit et totalement remplacé par du moderne.
Les restaurants et boutiques ouvrent, pleins de touristes, j’y dîne à l’Ancien Town Restaurant.
Plus loin, sous le pont et plus à l’est, plus de vietnamiens, moins guindé : gargotes improvisées avec chaises plastiques.