En guise de préambule au voyage a été décidée une n-ième virée à Paname. D’après mes souvenirs, le musée du quai Branly expose dans ses collections permanentes des vêtements des ethnies du Việt Nam et pays voisins. Sur les images internet, la complexité ethnique/culturelle se voit au premier coup d’oeil avec la diversité des robes et parures féminines.
La visite au rez-de-chaussée de l’exposition temporaire sur l’Océanie étant terminée, j’arrive dans la partie Asie du Sud-Est. Ce n’est pas exactement ce que j’attendais, mais cela fera l’affaire. Toujours là, ce bon vieux tambour en bronze de la culture dongsonienne. Cet exemplaire immense provient de Java, mais on en trouve partout sur la zone Indochine et Indonésie Ouest.
Les vêtements sont moins nombreux que dans mes vagues souvenirs. Ce qui est exposé provient de collectes datant de l’époque coloniale, fin 19e début 20e, et ne doit plus correspondre aux canons actuels. La mode évolue aussi, tout le monde a droit à sa fashion week. Les noms des ethnies me semblent maintenant familiers, avec la documentation, j’ai en tête les régions habitées, leurs origines et migrations, leurs filiations (on parle de familles linguistiques).
La lumière est étudiée pour ne pas abîmer les tissus et autres matières. La majorité est en vitrine, donc les photographies ont toujours un reflet. Il est préférable d’aller soi-même au musée ou d’acheter le catalogue des collections. J’ai pris des photos à titre personnel, sans me soucier de la qualité.
Aussi, les vitrines regroupent les objets par fonctionnalités afin de faire des comparaisons entre ethnies. J’ai préféré charcuter les images pour faire un regroupement par ethnies. Elles ne sont pas toutes présentes. Et ce qui est montré est tout sauf exhaustif.
Je vais décrire dans un désordre pragmatique, du nord au sud, du majoritaire au minoritaire. Tout le monde est animiste et porte un culte aux ancêtres. Certains ont adopté en sus une religion officielle : hindouisme chez les anciens Chăm et Khmers, bouddhisme pour la grande majorité, parfois du christianisme chez les Kinh et H’mong, et même la religion de Mahomet chez quelques Chăm contemporains. Pour résumer ; au nord, plutôt patrilinéaire, venant des anciennes Birmanie, Tibet, Chine du sud… et au sud, plutôt matrilinéaire, venant des îles lointaines de l’est.
Kinh : ethnie majoritaire, qui est descendue dans les plaines, endiguer les fleuves et cultiver le riz dans le delta du fleuve rouge, fortement sinisée lors de la colonisation par les Han. Les Kinh sont cousins des Mường qui sont eux restés dans les montagnes de la province de Thanh Hóa. Ayant réussi dans le delta du fleuve rouge, les Kinh sont partis coloniser peu à peu le sud aux dépens du Champā. Les colons français les appelait annamites, par opposition aux moïs, terme très péjoratif désignant le reste des habitants, c’est-à-dire les peuplades des plateaux et montagnes.
Les blouses d’enfants montrées ici peuvent être d’origine Hoa, c’est à dire Han s’étant établi au Việt Nam depuis quelques siècles. Tout est bon pour éloigner les mauvais esprits, l’écriture étant supposée le domaine des bienveillants ou contenant des formules magiques.
Mường : cousins des Kinh, qui sont restés dans les montagnes et n’ont pas été influencés par la colonisation des Han. Du coup, même si elle a évolué, leur langue ressemble au vieux vietnamien d’avant la sinisation. Toujours alliés des Kinh pendant la lutte contre les envahisseurs français, chinois, mongols… Restés montagnards, leurs coutumes et apparence ressemblent plus à celles des Tày plutôt qu’à leurs proches parents Kinh.
Tày : second groupe d’après le dernier recensement, venus de l’ancienne Chine également, à des époques différentes, avec une langue différente, cousins des Nùng et des Thaïs.
Nùng : cousins des Tày, localisés dans les hauts plateaux du Haut Tonkin.
Thaï : aussi cousins des Tày. Un grand groupe qui comporte plusieurs familles que l’on distingue par leur localisation/filiation/migration et aussi la couleur des vêtements. Thaïs blancs et noirs au Việt Nam, Thaïs Lao au laos… Ils sont venus de l’ancienne Chine via le Yunnan jusqu’à l’ancien royaume Khmer pour y former leur propre pays. Pays des Thaïs ou Thaïlande. Les Khmers les appelaient « Śyâma », en sanskrit ; foncé/brun (autrement dit, basané ?). Le mot a donné « Siam ». Fortement indianisés avec le sanskrit et le bouddhisme.
H’mong au Việt Nam, nommé Miao en Chine : de loin le groupe le plus représenté ici au musée. Et se divise en nombreux sous-groupes suivant la localisation, les couleurs et motifs des vêtements féminins, et je suppose aussi la langue et accents. D’origine l’ancienne Chine du sud, chassés par les Han lors de leur expansion. Comme d’autres ethnies, ils se sont trouvés de nouvelles terres en valorisant les pans de montagne, là où il était difficile de faire passer des armées. Mais l’histoire récente ne leur a pas été favorable, les colons français ayant une responsabilité dans leurs tourments.
Dao (prononcé Yao si vous êtes du sud, Zao si vous êtes du nord), aussi appelés Mien : cousins des H’mong dans la famille linguistique. Leurs codes vestimentaires sont bien distincts ainsi que les coutumes. J’espère les reconnaître facilement ; les femmes se ne coupent jamais les cheveux qu’elles ramènent à leur tête en chignons et circonvolutions étudiées.
Khơ Mú : appartenant au groupe linguistique môn-khmer, cette ehtnie très ancienne est localisée au nord, essentiellement au nord Laos, un dixième au Việt Nam, et un peu en Thaïlande.
Yi : le terme Lô Lô est péjoratif en Chine, mais reste utilisé ailleurs sans arrière-pensée. Ce groupe vit en majorité en Chine actuelle sur un espace assez large, et on peut trouver quelques petits groupes au Việt Nam et Thaïlande. Leur langue fait partie du groupe tibéto-birman. Je suis censé visiter un village Lô Lô noirs pendant le tour, probablement le même que celui qui a accueilli un rugbyman français dans l’émission « Rendez-vous en terre inconnue ». Ceux-là font partie du groupe vénérant le tigre.
Xa Pho : du côté de Sapa et de la frontière avec le Yunnan. Leur langue est d’origine tibéto-birmane.
On passe maintenant au sud, toujours en montagne et à l’intérieur des terres.
Khmer : leur ancien royaume s’étendait bien plus loin que l’actuel Cambodge, il y a une partie de leurs descendants qui se retrouvent maintenant avec la nationalité vietnamienne.
Gia Ra, que les occidentaux écrivent en Jaraï : habitent les hauts-plateaux du centre et parlent une langue apparentée à celle des Chăm. Les ethnies doivent souvent se partager le même territoire, il y avait souvent des conflits entre voisins Joraï, Sedang, Bahnar, etc.
Ê Đê, appelé aussi Rhade : au centre du Việt Nam. Leur nombre a été réduit de deux tiers pendant la guerre américano-vietnamienne. Colons français puis militaires américains ont joué ethnies contre ethnies pour tenter de gagner sur les indépendantistes puis communistes. Des peuples ont eu à faire des mauvais choix et cela s’est payé.
Bahnar : toujours au centre Việt Nam, dans les provinces de Kon Tum et Gia Lai. Connus pour leurs maisons communes spectaculaires, qu’on penserait importées d’Océanie. Un exemplaire de ces maisons se trouve dans le jardin du musée ethnographique à Hà Nội. On pense qu’ils occupaient les côtes et ont dû migrer dans les terres suite à l’arrivée des Chăm.
Xơ Đăng, Sedang en français : leur nom évoquerait à un geek le souvenir d’une tribu de science-fiction, mais pour les avertis, cette ethnie est connue pour avoir été dupée par un colon mégalomane et malhonnête qui s’est intronisé roi de ce peuple. On trouve un lot d’histoires où les européens débarquent en Indochine, avides de terres à exploiter et de peuples naïfs à berner. Certains agissaient en petits seigneurs et les minorités espéraient accueillir des remplaçants moins oppresseurs que les Kinh majoritaires. Grave erreur.
Chăm : autrefois marchands maritimes et indianisés, ils se sont réfugiés dans les plateaux au centre-sud du Việt Nam, laissant de magnifiques temples en brique et une statuaire de grès fascinante. Leurs petits royaumes florissants qui composait le Champā furent abandonnés peu à peu aux Kinh colonisateurs dans leur marche vers le Sud, elle même plus ou moins supervisée par les empereurs à Thanh Long (Hà Nọi) puis par les seigneurs Nguyễn (encore eux…) à Phú Xuân (Huế).
Les Chăm sont maintenant en partie musulmans (sans appliquer la Charia). Toujours l’influence de la zone indienne avec les Tamouls. Des vêtements ont déjà été photographiés lors de la visite du musée dédié à Đà Nẵng l’an dernier.
Mnong Gar : que Georges Condaminas a étudié en immersion de terrain. Le livre Nous avons mangé la forêt relate cette histoire. Une exposition temporaire lui a été dédiée au musée du quai Branly en 2006.
Xtiêng : dont le dialect proche de la langue Bahnar, habitant dans l’intérieur des terres au nord de Sài Gòn. C’est ce groupe qu’a fréquenté Georges Bloy dans ses aventures malheureuses en Cochinchine.
H’re : à l’ouest (donc à l’intérieur des terres) des provinces côtières de Quảng Ngãi et Bình Định, centre Việt Nam.
Giẻ : faisant partie de la branche linguistique Bahnar. Province de Kon Tum.
Ma : dans la province de Lâm Đồng (là où se trouve aussi la ville de Đà Lạt).
Divers :